On peut être un éditeur frileux ou un de ceux qui n’ont pas froid aux yeux. Le directeur de La Manufacture de Livres, Pierre Fourniaud, est de ce deuxième type. Car il faut un certain courage à une petite maison d’édition indépendante pour se spécialiser dans la criminalité française et internationale. Parfois, cela coûte cher. 10.000 euros en ce qui concerne l’ouvrage Gangs story interdit de diffusion depuis juillet dernier.
Motif de cette condamnation, la photo d’un ancien sympathisant du groupuscule d’extrême droite « Troisième voie » qui revendique 30 ans plus tard son droit l’image. A l’époque, le « Petit Mathieu » a 17 ans et il pose fièrement dans sa chambre décorée d’affiches favorables aux Waffen SS. Entre temps, « Petit Mathieu » est devenu grand. Il a abandonné le marteau et le pistolet qu’il tenait alors dans ses mains et laisse désormais son avocat mener ses combats à sa place.
Droit à l’image contre droit à l’information
« A quelques mois, nous n’aurions pas été condamnés », estime Pierre Fourniaud, qui explique cette décision de justice en raison du jeune âge du plaignant lequel n’atteindra la majorité que quelques mois après la prise du cliché. 2 500 exemplaires de Gangs story, sorti en octobre 2012, avaient déjà été vendus avant que ne tombe le jugement en juillet 2013. Un sticker est désormais collé à l’intérieur de la centaine d’ouvrages encore en stock.
Dans un carré blanc apposé sur la photo litigieuse, un court texte mentionne « Diffusion interdite par jugement du 26 juillet. Afin de mettre fin au trouble manifestement illicite subi par le demandeur. La liberté de création ne peut prévaloir sur le droit dont le demandeur dispose sur son image ». La réimpression de l’ouvrage est conditionnée à la « cancellisation de l’image », sans plus de précision.
En 1987, date à laquelle Yan Morvan photographie Petit Mathieu, cela fait déjà plus de 10 ans qu’il documente la vie des Hells angels, blousons noirs et autres bandes qui sévissent en France. Ses clichés sur les marges de la société française, ainsi que le travail de photo reporter de guerre qu’il mène en parallèle, feront souvent la Une des plus grands titres et lui vaudront des prix prestigieux, dont le Word Press Photo.
Les bandes, des blousons noirs aux gangs des cités
En introduction de l’ouvrage, Kizo, ex-membre de Mafia Z, qui signe les textes de Gangs story, explique avoir voulu retracer l’histoire des gangs des années 90, «… il était temps que les petits prennent conscience du combat des grands frères (…) de leur lutte pour nous protéger des skinheads fascistes. D’autres sont morts pour nous« , écrit-il.